Source : socheese.fr par Arnaud Sperat-Czar
Tous les professionnels en conviennent : autrefois, les fromages portaient très nettement, des pigments de leur croûte jusqu’à l’intimité de leur pâte, l’empreinte des saisons. Très replets et parfumés lorsqu’ils étaient fabriqués au printemps, plus secs l’été, ils s’offraient une nouvelle jeunesse avec les pluies du regain en automne, puis se faisaient plus introvertis et moins expressifs lorsque les animaux étaient cantonnés à la grange l’hiver
« Ces différences s’émoussent », constate Marie Quatrehomme, fromagère à Paris et l’un des Meilleurs Ouvriers de France. « Les variations s’estompent », confirme, en le déplorant, René Tourrette, fromager, restaurateur et affineur à Strasbourg. « Lorsqu’on évoque les saisons des fromages, les consommateurs pensent aux quatre saisons de Vivaldi, poursuit le professionnel alsacien. On en est désormais loin ».
Ces fromages sont-ils moins savoureux pour autant ? « Je leur trouve souvent des défauts, assure René Tourrette : les fromages de chèvres d’hiver ont par exemple tendance à voir leur croûte se détacher de la pâte et à présenter des goûts amers ». Marie Quatrehomme fait entendre un discours plus nuancé : « Je dirais plutôt qu’ils sont différents, pas nécessairement moins bons. Ces fromages d’hiver offrent un autre profil aromatique, des textures différentes. » Et de citer l’exemple du brie de Meaux : « Très honnêtement, avec un affinage adéquat, il est aussi bon à Noël qu’en juillet ».
Et pour cause, la science fromagère a beaucoup progressé et fait gagner en régularité. « Avant, on subissait la matière première, désormais on la maîtrise bien mieux », résume l’expert en technologie fromagère Bernard Mietton. Et de citer, pêle-mêle, « des laits dont la richesse en protéines est beaucoup plus stable grâce à un meilleur suivi alimentaire des troupeaux, une préparation plus optimale des laits, une meilleure maîtrise des ferments et des flores d’affinage. » Le chercheur franc-comtois le constate régulièrement avec le comté : auparavant, les meules d’hiver étaient très peu appréciées, leur pâte était très ferme, très sèche. Ce n’est plus le cas. »
« C’est vrai, enchaîne Marie Quatrehomme, que ces laits de printemps, lorsqu’on les goûte lors de la traite, ont une intensité et une richesse aromatique que n’ont pas les laits produits lorsque les vaches sont en stabulation. De là à dire que les parfums des fleurs broutées par les animaux vont à leur tour parfumer le fromage, il y a un pas que l’on a trop souvent franchi par le passé. Les chèvres auront beau brouter de sarriette, cela n’aromatisera pas le fromage. Le métabolisme des ruminants est moins direct et beaucoup plus complexe, commente-t-elle. Sans parler d’inexactitudes totales : non, les chèvres n’apprécient pas le thym et un fromage qui a ce goût a toutes les chances d’avoir été aromatisé artificiellement ! »
L’effet le plus indiscutable des saisons, pour les fromages au lait de vache, reste la couleur de leur pâte : une alimentation à base d’herbe fraîche a le pouvoir de colorer la pâte, de lui donner des reflets dorés, de la rendre encore plus gourmande. Explication : l’herbe fraîche est riche en béta-carotène, substance à fort pouvoir colorant. Sa proportion diminue considérablement dans les fourrages secs. Ainsi les fromages issus de laits d’animaux élevés en pâture sont souvent très tentateurs. Les fromagers peuvent, comme c’est la pratique systématique pour le beurre, ajouter des colorants à la pâte en plein hiver, à moins que leur philosophie ou le cahier des charges d’une AOC ne leur interdise. C’est le cas du comté, dont les meules d’hiver ont des allures blafardes qui signent, à coup sûr, leur origine hivernale.
Autrefois, pour déterminer la période optimale de dégustation d’un fromage, il existait une équation quasi infaillible. Il suffisait d’identifier la période où le lait était non seulement issu d’herbe pâturée mais aussi très riche (en protéines et matières grasses) et d’y ajouter la durée d’affinage permettant au produit de laisser s’épanouir toutes ses flaveurs. On trouvait ainsi deux périodes de prédilection pour le camembert : fin du printemps – début de l’été et automne (grâce à la repousse de l’herbe liée au regain)
La richesse du lait est une donnée qui fluctue tout au long de l’année. Pour les vaches, qui donnent du lait environ 300 jours dans l’année, le lait atteint son « optimum fromager » au cours de la seconde moitié du printemps. Auparavant, il a tendance à manquer de matière sèche (de caséines, en particulier). Après une phase de stabilisation, il arrive à maturité. Puis sa qualité fromagère baisse généralement au cours de l’été pour remonter en automne, qui coïncide avec les pluies de regain et les fins de lactation, synonyme de laits plus riches. Le phénomène est moins marqué pour les chèvres et brebis. Le lait de brebis constituent un cas particulier : en fin de lactation, ils sont très gras et nécessitent alors des affinages plus rapides
Alors, y’a pu de saisons ? La réponse est incontestable pour les fromages très standardisés, dont les choix en matière d’alimentation animale, d’élevage et de fabrication permettent de lutter contre les variations de la Nature. La réponse est déjà moins catégorique pour des fromageries plus artisanales, comme en témoigne le fromager bourguignon Olivier Gaugry : « Si l’été est très chaud, tous les taux vont chuter. Le cahier des charges de l’AOC époisses prescrit une proportion minimale d’herbe dans l’alimentation des vaches. En été, il arrive que l’herbe s’assèche et jaunisse… A certaines périodes, les fromages sont plus coulants, à d’autres plus secs. Nous avons deux tournées de collecte du lait différentes : une sur le plateau, une en vallée : les laits peuvent avoir des profils très différents ! »
C’est pour les fromages produits en alpages que l’équation garde sans doute la plus grande pertinence. Parce que les animaux pâturent alors sur des prairies naturelles d’une très grande diversité (avec une composition en acide gras qui leur donne une texture plus fondante) et que l’ambiance dans l’atelier d’alpage est bien moins standardisée qu’en plaine. Flore et microflores s’associent pour typer ces fromages. Comparez par exemple un « beaufort chalet d’alpage » et un beaufort d’hiver…
Tous les fromages toute l’année
Les consommateurs demeurent assez étrangers aux saisons. Ils ont pris la fâcheuse habitude de consommer le fromage en hiver (du chèvre notamment !). Or, le gros de la production laitière a lieu au printemps et au début de l’été… au moment même où les consommateurs ont tendance à s’en détourner ! Les fromagers ont trouvé la riposte : ils « dessaisonnent ». « Cette évolution a commencé avec les fromages de chèvre, commente René Tourrette. Autrefois, on n’en trouvait jamais en hiver, car les chèvres sont traditionnellement taries à cette période. Il s’en vend aujourd’hui toute l’année, car de nombreux fabricants décalent les lactations d’une partie de leur troupeau pour avoir du lait à transformer toute l’année, ou emploient du caillé congelé »
Le phénomène touche aussi bien les troupeaux de caprins que les troupeaux de vaches. Seules quelques AOC continuent de restreindre, par respect des traditions, la période autorisée de production : soit à la période hivernale (mont-d’or), soit à la période estivale pour des fromages produits uniquement à partir d’herbe de montagne (chevrotin, salers, beaufort chalet d’alpage…), soit à une partie de l’année (roquefort, de fin novembre jusqu’à fin juillet).
L’article est intéressant mais très mal illustré : la photo est vulgaire… Dommage pour un site revendiquant un certain “art de vivre”.
Anne.E