La capitale britannique compte très peu de fromageries de détail. Mais avec une façon bien à elles de vendre les fromages… Amazing !
Ouvrez grand les yeux, spectacle permanent ! Fromages savamment empilés, planches d’affinage s’étageant jusqu’au plafond, décors associant subtilement design et tradition, concepts hybrides entre boutique classique et cave d’affinage, ambiance jeune sur fond de musique « lounge », accueil aussi chaleureux que professionnel… A Londres, le fromage se met en scène comme nulle part ailleurs. Sans doute le privilège d’un pays qui n’a découvert que récemment le concept de « fromagerie de détail », qui achetait le fromage il n’y a pas si longtemps chez le boucher, et qui s’autorise toutes les audaces.
Deux adresses doivent figurer, un jour ou l’autre, sur le carnet de route de tout passionné de fromage et de tout professionnel curieux et soucieux d’innover : la « Fromagerie » de Patricia Michelson, dans le quartier de Marylebone, et Neal’s Yard Dairy, dans Borough Market, non loin du Tower Bridge, tous les deux orfèvres dans l’art de mettre l’eau à la bouche et de susciter l’envie de tout goûter. Ces deux magasins, ou plutôt ces deux ruches fromagères, proposent une symphonie enjouée à la gloire des fromages traditionnels dans deux styles très différents : généreux et débonnaire pour le premier, plus cosy pour le second. Exemple : le client est accosté dès le trottoir chez Neal’s Yard Dairy par des vendeurs affublés d’une casquette à la Gavroche et d’une petite ardoise de dégustation ; chez Patricia Michelson, il est invité à pousser une lourde porte coulissante pour pénétrer dans la cave aux allures d’aquarium et peut déguster une assiette de fromages tranquillement assis à une table.
Sans doute aidés par une législation qui leur laisse plus de liberté que dans des pays comme la France, les professionnels londoniens laissent s’épanouir leur sens inné du commerce. Si aucune de ces deux échoppes exceptionnelles ne se ressemble, toutes deux utilisent in fine les mêmes recettes : « vente avant » pour allécher le client, dégustation quasi systématique pour le ravir, produits irréprochables pour le fidéliser. Un socle que l’on retrouve également, mais avec plus de classicisme dans la forme, chez Paxton & Whitfield, le fournisseur officiel du palais de Buckingham, à quelques pas de Piccadilly Circus.
Yeux émerveillés
La « vente avant », technique qui consiste à permettre au consommateur d’être en contact direct avec les fromages sans la barrière intimidante d’une vitrine ou de vendeurs, a un inconvénient majeur : l’obligation de protéger les produits, à des fins d’hygiène, par un film alimentaire. Mais son potentiel commercial est très fort : la proximité suscite le désir… Chez Neal’s Yard Dairy, un étal d’une bonne dizaine de mètres a des allures de buffet le long duquel se pressent les clients, dont le regard ne sait plus où se poser, entre pyramides de fromages et ardoises de produits plus ou moins portionnés. A « la Fromagerie », les fromages sont soit disposés sur tables, soit alignés sur des étagères évoquant les rayonnages des bibliothèques. Densité maximale pour impact visuel optimal. Chez Paxton & Whitfield, l’étal central, tout en longueur, mesure un bon mètre de large sur lequel foisonnent formes et couleurs.
Dans ce pays qui n’a redécouvert son passé fromager que depuis une vingtaine d’années et qui exhume désormais des recettes oubliées, le consommateur n’est pas considéré comme un connaisseur. L’échange noué avec lui par les vendeurs est donc primordial. Ces derniers lui proposent naturellement de déguster pour qu’il précise son goût ou pour susciter sa curiosité, au besoin en goûtant avec lui. Cela demande du temps, de l’écoute, de la connaissance, de l’investissement personnel…
Quant au choix des produits, il est irréprochable dans les trois boutiques. « La Fromagerie » propose un large choix de fromages français, principalement au lait cru, en provenance directe des meilleures adresses. Neal’s Yard Dairy n’en pince que pour les fromages britanniques, dont il draine le meilleur de la production artisanale et ne s’autorise que quelques rares incursions étrangères : parmigiano reggiano affiné par Giorgio Cravero et brie de Meaux des frères Dongé. Quant à Paxton & Whitfield, le magasin privilégie les valeurs pures et s’est associé à Androuët, pour son assortiment de fromages français.
Chez les uns, comme les autres, le regard du client, à qui on laisse le temps de prendre ses aises, d’écouter, d’hésiter, de se laisser charmer, en dit long : il pétille comme les yeux émerveillés d’un enfant. A slice of cheese ?