Si, comme beaucoup de Parisiens, vous pensez qu’entre la Bourse et le Palais-Royal, on ne trouve qu’une enfilade de cantines japonaises (certes délicieuses) et quelques adresses chic, détrompez-vous. Bonnes tables pour tous les budgets, boutiques insolites, patrimoine formidable ou passages pleins de charme, une petite promenade révèle un micro-quartier éclectique et bourré de ressources.
Derrière la Bourse, tout n’est pas forcément hors de prix, loin de là. Dédé la Frite, par exemple. Pour faire honneur à son nom, ce bar-resto-snack sert des barquettes (dites “à Dédé”) de frites accompagnées de saucisses, francforts ou merguez, à 6 euros. Mais c’est aussi un vrai resto hyper sympa et plutôt donné : en semaine, plat du jour + café à 9,70 euros ; le soir, carte avec plats de viande (pavé, tartare pesto ou Dédé O Fish burger) entre 9 et 12 euros, des desserts à 4 euros. A part ça, c’est un bar. Le soir, “after work”, ça s’anime de clients de 20 à 30 ans, qui mangent et boivent des cocktails à 6,90 ou un demi à 2,70. La musique est super (de Siouxsie à Sexy Sushi en passant par Sporto Kantes), l’équipe, pleine de jeunes dynamiques, par ailleurs étudiants ou comédiens. Il y a deux petites terrasses, car le bar donne aussi sur la rue Montmartre de l’autre côté, et un étage privatisable très agréable. Tout est un peu de bric et de broc, les murs, bordés de banquettes orange, se cherchent entre plâtre gratté et papier peint 70’s, aplats rouges ou jaunes. Le patron, Alexandre Bergheaud, a neuf autres adresses sympas à Paris, comme la Fourmi (18e), Irénée Bernard (17e) et la Montagne (Sainte-Geneviève, 5e) : pas étonnant, donc, que ce soit bien ! En descendant la rue Notre-Dame des Victoires, on passe, au numéro 17, devant Saturne, un bistro-restaurant-caviste récemment ouvert qui rend hystériques de nombreux critiques et blogueurs gastronomiques (sans compter les amateurs de bonne chère anonymes). C’est l’ancien chef Sven (d’origine suédoise) de Racines, un autre restaurant très apprécié, qui a ouvert cette table qu’on dit formidable. Si ça vous tente, évitez le week-end : c’est fermé… Quelques mètres plus loin sur le même trottoir, voici l’étape la plus insolite de la promenade. Elvis My Happiness est une vaste boutiqueduplex, née d’une revue éponyme, qui abrite tout ce que l’on peut trouver en France sur Elvis Presley. Y compris des membres de son fanclub, dont c’est le siège, et qui rassemble 5 000 personnes de tout l’Hexagone (et même du Canada, d’Algérie ou des Etats-Unis), de tous âges (45 ans en moyenne) et de toutes conditions sociales. C’est bath : des gens habillés et coiffés un peu comme dans les années 50 se claquent la bise dans cet espace clair et net présentant DVD, CD, rééditions, magazines, gadgets dédiés au King, en plus d’une petite exposition de quelques objets et vêtements lui ayant appartenu.
Elvis et Mozart
Il y a une ristourne pour les adhérents, et puis la possibilité de participer au voyage annuel à Memphis et au-delà (Acapulco, Hawaï, Las Vegas selon les années), ou bien à la soirée d’anniversaire d’Elvis, en janvier : on boit ici une coupe avant d’aller au Petit Journal, un club de jazz écouter des chansons de son répertoire reprises par des groupes, « mais jamais par des sosies, on n’aime pas les clowns. Elvis, il n’y en n’a qu’un. » La boutique est tenue par Jean-Luc, seul salarié entouré de bénévoles fans, souvent plus spécialistes d’une période ou d’une autre, et qui partagent leur savoir dans une camaraderie bon enfant. La rue débouche, en bas, sur la place des Petits-Pères, pas si connue mais sacrément mignonne. Entrons dans l’imposante basilique Notre- Dame-des-Victoires, une vraie beauté patrimoniale où brûlent des cierges à la Vierge sous une voûte superbe. Mozart venait y dire son chapelet, Colette admirait la chaleur de ce lieu voulu comme un refuge pour les âmes en détresse, ou au contraire sauvées et pleines de gratitude, ce dont témoignent la kyrielle d’ex-voto, plaques gravées qui recouvrent les parois intérieures de presque tout l’édifice. Goûtons le calme de l’endroit, puis sortons, et traversons la petite place pavée.
En face de l’église, à droite, se trouve la boutique-galerie de Yannick Vincent, artiste orchidéiste. Il a 38 ans, parle doucement, sourit doucement, prodigue doucement des conseils à ceux qui viennent acquérir l’une des 80 variétés (il en existe 35 000) que l’on trouve toute l’année en fleur dans ce paradis de 23 m2. Ouverte depuis cinq ans, la boutique, outre qu’elle est le repaire de mordus d’orchidées, dont Vivienne Westwood et Kris Van Assche, constitue un aboutissement pour Yannick Vincent, qui rêvait de plantes avant même de savoir parler. Après avoir étudié l’horticulture, il a produit des orchidées, et voyage aujourd’hui dans toute la France et l’Europe pour rapporter les plus beaux spécimens, que les producteurs lui réservent « parce que je ne demande pas de prix ». Il croit à la rencontre avec la fleur, à sa valeur. Il rapporte des spécimens rares, au parfum, à la taille et aux couleurs merveilleuses : Dendrodium orange quasi-fluo, deux délicats Sabots de Vénus jumeaux verts, de grosses orchidées-pensées pourpres, et puis du blanc éclatant et bien des nuances de rose, de carmin… Ici, on aime tellement les plantes qu’on les accompagne : conseil, rempotage, diagnostic sur place ou par internet, livraison partout dans Paris « pour leur éviter le métro », tout est gratuit. Et les prix ne sont pas si élevés, en regard de la beauté des plantes et de l’excellence du service.
Une si chic galerie
C’est le moment, en frôlant la place des Victoires, d’emprunter la rue des Petits-Champs, mais en bifurquant tout de suite au numéro 4 dans la galerie Vivienne. Ce passage d’une folle élégance, recouvert d’une verrière raffinée, fut construit par un grand notaire du XIXe, avec un décor de style pompéien néoclassique fait de mosaïques (au sol, délicieuses), peintures et sculptures exaltant le commerce (ancres, cornes d’abondance…). La Galerie a conservé son esprit hors du temps, et très chic : un salon de thé, A Priori Thé, à la terrasse duquel dames et jeunes filles au port altier dégustent volontiers une pâtisserie maison ; la fameuse boutique-studio de décoration florale, Emilio Robba, qui imagine « la création et l’installation d’environnements paysagers à partir de plantes et fleur d’illusion » ; Jousseaume, une librairie de livres anciens et d’occasion (achat-vente), au fonds d’une extraordinaire richesse, puisque l’on trouve aussi bien de grands livres à l’antique reliure que les Bibliothèque Rose de notre enfance, des polars de maison de campagne et des choses rares, parfois même en langue étrangère. C’est aussi l’Eldorado des créateurs de mode de bon aloi, comme Nathalie Garçon (stylisme, recherche de matière, couleurs), Yuki Torii, dont les vêtements féminins marient avec raffinement et modernité dentelle, pois et rayures, « matières et poésie », et un showroom de Jean-Paul Gaultier célébrant sa vivace flamboyance. Même les enfants ont leur corner de joie avec les grands jouets à l’ancienne installés à leur adresse dans la galerie par le joli magasin Si tu veux, Jeux et jouets. Sur le trottoir d’en face, Marugen, ouvert il y huit mois, est un magasin nippon « de tout », tenu par des Japonais infiniment gentils qui parlent un français exotique et se sapent comme personne, entre manga, bleu de travail et armure de samouraï. On y trouve à la fois du streetwear japonisant (sweat-shirts brodés de fleurs de cerisier façon Tsumori Chisato mais bien plus abordables, à 89 euros), un ravissant choix de kimonos (soie ou coton, de 60 à 120 euros), des coupons de soie, des masques traditionnels de théâtre, des nécessaires à bento, ces boîtes-déjeuner pleines de surprises, des cure-oreille (12 euros), des bijoux, sacs, gants, chaussettes à orteils, de ravissants foulards (21 euros), et deux étonnantes spécialités : d’une part, un choix de bottes en forme de sabot fendu, et de l’autre, des pantalons amples et bouffants très fashion qui sont en fait les vêtements portés par les ouvriers de chantier et les pompiers au Japon (évidemment très occupés ces derniers temps…), mais qui ont été détournés par une jeunesse pointue. Et puis, en fond de boutique, un photomaton mignon où l’on peut poser à trois et choisir des tas de petits motifs et personnages à incruster sur la photo, qui sort autocollante, et se découpe pour orner téléphones et briquets (5 euros).
Saveurs exotiques
Pendant populaire de la galerie Vivienne, le passage Choiseul est une charmante enfilade de mini-restos asiatiques, boutiques de mode un peu “créa” ou cheap (dont une d’articles en soie où l’on devine des trésors de bas et d’étoles), quelques galeries d’art, des smoothies et soupes qui déchirent au comptoir de Smooth&Co, la sortie arrière du théâtre des Bouffes parisiens, qui raconte de belles histoires à l’imagination (on imagine Delon, qui y joue en ce moment, filant par là à l’anglaise), un stand éclectique de livres neufs à prix réduits et, au beau milieu du passage, une adresse en or : la papeterie Lavrut, forunisseur des Beaux-Arts. On trouve des trésors chez ce marchand de couleurs dont la boutique, très grande, est éclairée par une verrière au-dessus de la pièce centrale : divers carnets et cahiers, dont de très jolis et épais “livres de brouillon” A5 à moins de 5 euros, presque tout ce qui existe chez Moleskine, tous papiers, toiles, pinceaux, classeurs, colles, crayons, craies, encre de Chine, peinture, paillettes… Et puis, au fond, un alléchant rayon “licences” de petits créateurs : carnets fantaisie, gadgets japonisants (poupées, papiers, cahiers de loisirs créatifs pour petits et grands), des boîtes métalliques aux couleurs du fameux nuancier Pantone, des sacs et pochettes Bensimon fluo, des aimants marrants, des étuis à ordi à motif de nappes de cantine… Ces trois salles en enfilade sont une vraie caverne d’Ali Baba. On s’est bien promené. Pour terminer la balade, on a le choix entre aller boire un cocktail (7 à 10 euros) à l’Habemus Papam, en s’installant au long bar pour picorer les supers tapas à 5 euros (chorizo sauté au vin rouge, crevette en robe de pomme de terre, croquette au camembert), parce que la déco – grand lustre design qui court sur trois murs, large plancher brut, mur vert d’eau, salle chinoise aux boiseries rouges – et la musique sont in. On pourra rester dîner (plats entre 13 à 23 euros) si on s’entend bien avec Fabrice, le patron, ou Arthur, parce qu’ici, comme ils disent, « c’est nous qui décidons comment ça doit être, pas la clientèle ». Si on n’aime pas la pression, on peut aussi aller s’enfiler un “ZenZoo”, cette délicieuse boisson au thé (ou lait de soja), aromatisée comme on veut (sésame, amande, coco, mangue, kumquat…) et agrémentée de grosses billes de tapioca, sombres et désirables : des dizaines d’accros font souvent le pied de grue en attendant le leur. On peut aussi y s’asseoir pour déguster gâteaux et plats taïwanais bons et bon marché. Une savoureuse expérience, à l’image d’un quartier qui mérite d’être mieux connu.
Les adresses…
Dédé La Frite
52, rue Notre-Dame des Victoires,
ouvert 7 j./7, de 8 h à 2 h.
Saturne
17, rue Notre-Dame des Victoires.
Réservations au 01 42 60 31 50.
Elvis My Happiness
9, rue Notre-Dame des Victoires.
Tél. : 01 49 27 08 43.
www.elvismyhappiness.com.
Boutique-galerie de Yannick Vincent
4 rue des Petits-Pères.
Tél. : 01 42 86 13 09.
www.yannickvincent.fr.
Galerie Vivienne
accès 4, rue des Petits-Champs, 5-7, rue de la Banque, et 6, rue Vivienne.
Marugen
33, rue des Petits-Champs. Ouvert de 11 h 30 à 20 h, fermé le dimanche et parfois le lundi.
www.marugentobi.com.
Passage Choiseul
accès 40, rue des Petits-Champs ou 23, rue Saint-Augustin, du lundi au samedi de 7 h à 21 h.
Lavrut
52, passage Choiseul.
Tél. : 01 42 96 95 54.
Habemus Papam
13, rue Monsigny. Tél. : 01 47 42 92 35.
ZenZoo
13, rue Chabanais. Ouvert du lundi au samedi, de 11 h 30 à 23 h.