Oubliez votre grand-mère : il faut maintenant compter sur une jeune génération de passionnés pour boire un café digne de ce nom. Mais attention, une fois que vous y aurez goûté, vous ne regarderez plus jamais votre petit noir de la même façon !
Ce jeudi soir, au café Coutume, c’est l’effervescence. Simples curieux, amateurs éclairés et vrais professionnels se pressent autour du bar. L’atmosphère est décontractée, les branchés se mêlent aux quidams, les jeunes aux moins jeunes… Enfin, quelqu’un prend la parole : « On va faire cinq équipes de cinq. Trois cafés à déguster à l’aveugle, il faudra retrouver de quel pays chaque café est originaire. Que les meilleurs gagnent ! » Bienvenue à la Frog Fight, la première compétition indépendante et amicale de “barista” en France. Tous les premiers jeudis du mois, la crème de la crème des “baristas”, véritables sommeliers du café, s’affronte amicalement autour de deux épreuves principales : le “Cupping”, pour la dégustation, et le “Latte Art”, qui consiste à réaliser un dessin avec du lait dans le cappuccino. Si tout le monde se mélange et participe dans une ambiance bon enfant – de la bière est même offerte –, le noyau dur des concurrents est composé de pros du café. Paris ne dénombre qu’une quinzaine de baristas, pour la plupart anglo-saxons ; les Français se comptent, eux, sur les doigts d’une main. Originaire d’Italie, le terme est bien sûr dérivé du mot “bar”, l’équivalent de notre café du coin, et désigne quelqu’un qui travaille derrière un comptoir. Utilisé en français et en anglais, il se réfère à une personne qui a acquis un certain niveau de compétence dans la préparation de la boisson.
Car si vous pensez qu’il suffit d’avoir sélectionné un excellent torréfacteur et d’appuyer sur un bouton pour obtenir un bon café, vous vous trompez. Il faut non seulement programmer la machine, et pas n’importe laquelle, savoir l’entretenir, la réparer, savoir moudre et tasser le café, connaître le temps d’extraction, être attentif à la température, à la qualité de l’eau, du lait, avoir des connaissances en “caféologie”, être capable, enfin, de verser correctement le breuvage. Si, en France, le café est la deuxième boisson la plus consommée après l’eau, on semble pourtant traiter sa préparation par-dessus la jambe. A tel point que le “New York Times” titrait dernièrement « Pourquoi le café est-il si mauvais à Paris ? » Café laissé dans la réserve de la machine pendant plusieurs jours (la saveur se perd moins de deux minutes après que les grains ont été moulus), grains brûlés, tuyaux de machine mal nettoyés et remplis de lait collé et caillé, tassage quelque peu “léger” par souci d’économie (7 grammes de café contre 10 à 12 pour un bon espresso), la liste des négligences est longue… Et le pire, c’est qu’on ne s’en rend même pas compte ! Un comble pour un pays qui porte haut les couleurs de la gastronomie et de l’oenologie. « Il existe environ 5 millions de plantations de café dans le monde, chacune produisant des grains profondément différenciés. Café fruité ou floral, avec des nuances d’épices, de miel, de caramel ou de chocolat, long en bouche, (…) ces cafés sont aussi différents les uns des autres qu’un bordeaux d’un beaujolais ou un côtes du Rhône d’un vin de Loire », nous informe la Caféothèque. Mais quand ils arrivent dans notre tasse, toute leur originalité s’est perdue, et notre ignorance fait le reste.
Pourtant, après Seattle, Portland, New York ou Londres, Paris commence à succomber au charme de la “coffee culture”. Grâce à des personnalités comme Thomas Lehoux et l’Américain David Flynn, les organisateurs des soirées Frog Fight, c’est un vent indie et trendy qui souffle aujourd’hui sur les percolateurs. « On avait envie de faire quelque chose de différent, de se retrouver autour de valeurs, de servir du café sérieusement sans se prendre au sérieux, explique Thomas, 24 ans. On n’est pas là pour faire du business, on n’a pas de sponsors café, on veut juste partager notre passion et promouvoir une forme d’indépendance. » Ces deux jeunes baristas aguerris ont su en neuf mois réunir une petite communauté d’aficionados qui partagent leur vision des choses. Leurs soirées se tiennent dans des lieux proposant une alternative non seulement aux franchises type Starbucks, mais aussi aux cafés-brasseries classiques, approvisionnés par les trois grandes marques de café (Richard, Malongo, Illy) qui se partagent le marché français. « La plupart des cafés proviennent de pays pauvres, il faut être attentif aux conditions dans lesquelles a été effectuée la récolte, poursuit Thomas. Et puis, avec 6 millions de grands crus de café dans le monde, on reste toujours un peu ignorant. » Pour cette jeune génération de baristas, le service fait autant partie du travail que l’accumulation de connaissances et de compétences techniques. « Il faut savoir sourire, être sympa, pédagogue et sérieux, tout ça à la fois », affirme Thomas, à qui l’on a pu reprocher d’avoir un look trop décontracté – T-shirt, jeans, baskets, barbe de trois jours –, là où le costume de rigueur semble parfois exempter de sourire. « Les Anglo-Saxons sont moins conservateurs, beaucoup de baristas sont tatoués, avec les cheveux en bataille, et ça ne gêne personne », ajoute-t-il. A travers ce nouveau phénomène s’exprime un état d’esprit décalé et rafraîchissant où, comme en cuisine, on cherche à retrouver le vrai goût des choses et à sortir de la globalisation des saveurs et des postures. Et quand on pense qu’un excellent café servi dans les règles de l’art restera toujours un plaisir à la portée de toutes les bourses, on ne peut que voter pour cette démocratisation du (bon) goût.