Grâce aux émissions de télé en cours pour devenir un véritable cordon bleu, la cuisine semble être devenue une véritable passion nationale. La cuisine qu’on prépare, mais aussi la cuisine où l’on mange, comme le montre un ouvrage qui retrace l’évolution de cette pièce dans nos logis. De quoi se mettre en appétit !
Entre les ateliers de cuisine qui ne désemplissent pas et les ventes de livres dédiés qui assurent le chiffre d’affaires des libraires plus que la littérature, la cuisine est devenue le nouveau temple sacré de la maison. Vous en doutez encore ? Pour en être définitivement convaincu, allez faire un tour chez Ikea. Vous n’avez jamais remarqué que le “rayon cuisine” est toujours celui qui accueille le plus de monde au mètre carré ? Que de vraies scènes de ménage s’y jouent autour de la couleur des placards ou la forme des robinets ? Autre et dernier signe qui ne trompe pas, les émissions de télévision qui se multiplient. De “MasterChef” à “Un dîner presque parfait”, on se surprend à baver devant une omelette cuite au feu de cheminée, selon la technique ancestrale du plus vieux restaurant du Mont-Saint-Michel… VIA (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement) vient d’éditer un ouvrage intitulé “Se nourrir, de la nécessité à la convivialité”. Coécrit par son directeur Gérard Laizé et Frédéric Loeb, directeur du cabinet d’études prospectives &Loeb Innovation, c’est une cartographie sociologique passionnante de l’évolution de notre alimentation et du design actuel et futur de nos cuisines. Car la cuisine, c’est tout une histoire. Depuis l’Antiquité, on ne se nourrit plus uniquement par nécessité. C’est déjà un élément essentiel de savoir-vivre. A la Renaissance, les moeurs à table évoluent. On ne partage plus assiette, verre et couverts, et chacun dispose d’une serviette. La fourchette fait son apparition grâce à Catherine de Médicis. L’influence italienne se retrouve également dans le raffinement des arts de la table avec l’orfèvrerie, la cristallerie et la vaisselle en faïence. Sous Louis XV apparaît l’ancêtre de la salle à manger, une petite pièce dédiée aux soupers fins, et côté mobilier, de nombreuses petites tables sont créées, comme l’ambulante qui sert à boire le chocolat ou le thé dans le boudoir par exemple, avec son plateau détachable pour manger au lit ! Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le premier établissement portant la dénomination de “restaurant” s’ouvre à Paris. Au XIXe, la salle à manger se démocratise dans les logements bourgeois. La vaisselle s’étoffe : à chaque type de plats son assiette et ses couverts. La cuisine se modernise. La cuisinière à gaz arrive en 1850. C’est aussi le début de l’industrie agroalimentaire, avec la fabrication industrielle des produits de base de l’alimentation comme la farine, l’huile. La conserve se développe également. Et puis, le XXe siècle voit de grandes révolutions ; avec l’apparition des congés payés en 1936 et le développement du tourisme, la cuisine du terroir explose.
Des cuisines de pro
Les appartements se modernisent, avec l’eau, l’électricité et le gaz à tous lesa étages. A partir de 1950, les appareils électroménagers se développent, et sont le signe de la modernité. Eh oui, ils sont même censés libérer la femme des fourneaux en lui faisant gagner du temps, la cuisine étant son royaume. L’amélioration de la condition féminine est d’ailleurs l’argument mie en avant dans la plupart des slogans des publicités de l’époque. Le design entre aussi dans la cuisine et devient un champ d’invention pour les designers. Charlotte Perriand et Le Corbusier réfléchissent à son aménagement. Dans les années 60 apparaît la cuisine aménagée, avec meubles standardisés et “plan de travail” Et puis, l’apparition du réfrigérateur et du lave-vaisselle chamboulent l’organisation de l’espace. Les années 70 voient le règne des meubles en Formica ; tout le monde s’éprend du stratifié, synonyme de modernité. Avec les années 80, c’est la démocratisation des hottes aspirantes, une autre révolution. La cuisine peut désormais s’ouvrir sur la salle à manger puisqu’on a réglé le problème des odeurs. C’est aussi l’apparition de la “cuisine américaine” qui suscite un engouement durable, car elle a le formidable avantage d’être ultra-conviviale et d’ouvrir l’espace. Aujourd’hui, la cuisine a des multiples visages, et est vraiment le reflet de ses propriétaires. Par exemple, “la cuisine du chef”. Celle où vous entrez et êtes d’emblée impressionné par le nombre d’ustensiles et d’accessoires. La cuisinière est en inox et a tout d’une pro, il y a même un Multiplo (un appareil multifonctions emprunté aux cantines pour bouillir, frire, rôtir)… Bref, le propriétaire des lieux veut vous montrer qu’ici, eh bien, ça rne rigole pas avec la bouffe ! Il y a aussi la “cuisine labo”, réservée aux maniaques. Il n’y a rien qui traîne, tout doit être intégré, tout est lisse. Mais la grande tendance du moment, c’est la “cuisine ouverte” (à ne surtout pas confondre avec l’américaine évoquée plus haut), où l’espace est décloisonné. Surtout à Paris, car elle permet un gain de place appréciable. Elle se présente sous la forme d’un bloc intégré dans la pièce principale ; 36,5 % des appartements en sont équipés. Du coup, ce n’est plus le lieu unique où l’on prend son repas. On dîne aussi dans le séjour ou dans la chambre, pour un plateau télé. Les designers planchent donc de plus en plus sur un mobilier qui permet de vivre ses nouvelles habitudes de façon optimale, avec des canapés et des tables basses adaptées (à plateau relevable, ou les tables dites lounge pour les amateurs d’apéros dînatoires entre amis).
On recycle !
L’ouvrage du VIA nous ouvre quelques pistes sur la cuisine de demain, fruit de réflexions engagées tant par les cuisinistes que par les fabricants d’électroménager, des arts de la table et par les designers bien sûr. Ekokook est issue de la carte blanche VIA 2010. C’est avant tout une réponse à l’enjeu environnemental et à la question des déchets. Elle intègre trois “microusines” domestiques pour trois types de recyclage : les déchets solides (tri, traitement et stockage), un système pour conserver l’eau déjà utilisée, histoire de limiter le gaspillage en la recyclant pour un autre usage (arrosage, lave-vaisselle…) et un “lombricomposteur” qui va transformer les déchets organiques afin de produire de l’engrais naturel. Les concepteurs d’un autre projet se sont penchés, eux, sur l’espace lui-même. Car si la cuisine tend à s’ouvrir sur le reste du logement, comment celui-ci vat- il évoluer dans son ensemble ? La cuisine telle que nous la connaissons aujourd’hui va-t-elle finir par disparaître ? Avec le Social Hub, peut-être. Composé d’un îlot central fixe combinant tous les équipements (four, évier, frigo), il accueille du mobilier satellite (table, bureau, meuble-multimédia) qui vient s’y accoler. Social Hub serait parfait pour les studios. Et puis, pour le côté vraiment futuriste, on beaucoup aimé le projet de Zaha Hadid pour Ernestomeda. Il s’agit d’une étonnante plateforme en Corian (ce fameux matériaux très prisé par les designers car il offre d’infinies possibilités de création et est d’une résistance extrême), composée de trois modules. Un panneau de contrôle avec un écran LCD pilote l’ensemble de la cuisine. Il crée des ambiances en agissant sur la lumière, l’écran peut servir de téléviseur ou se connecter à internet. Une station d’accueil pour iPod a également été intégrée. Super. Sur le même îlot, on trouve une plaque à induction magnifique et une autre pour maintenir les plats au chaud. Un diffuseur de parfum est aussi intégré à l’ensemble. Un autre îlot dédié au lavage complète la cuisine avec l’évier, l’égouttoir et le plan de travail. L’ensemble fonctionne avec des zones murales de rangement et un mur décoratif. La cuisine, espace de plaisir incontestable, n’a pas fini de nous étonner. Car ça a beau être la crise, quand l’appétit va, tout va !