Le Fooding fête ses dix ans ! A l’occasion de la sortie du guide et du palmarès 2010, retour sur un mouvement branché qui a changé l’image de la gastronomie et qui sait si bien faire parler de lui.
L’idée du Fooding, finalement c’est un peu comme le Palace ou H&M : rendre plus accessible un certain esprit élitaire et novateur, dans une ambiance festive. De la bonne bouffe, moins prétentieuse (la plupart du temps) que dans les restaurants étoilés, et aussi beaucoup moins chère, un caractère très “tendance” hérité de Nova Magazine, où sont nés le terme et le concept, et un enrobage brillant : people sympas, voire carrément branchés, et puis branchés tout court, journalistes en vogue, la recherche d’ un “vrai ton” dans l’écriture… Et surtout, un univers. “Fooding”, donc, est une invention journalistique. En 2000, Alexandre Cammas, alors critique gastronomique à Nova Mag, fait fusionner “food” et “feeling”, comme une blague, dans un article sur l’apparition d’une nouvelle génération de tables “fusion” où la gastronomie s’adapte à un format plus convivial et “cool”. Sauf que, ne tardant pas à découvrir le potentiel du concept, il transforme vite l’aimable plaisanterie en une marque déposée. Et la décline selon plusieurs axes. Un guide gastronomique pas comme les autres, d’abord, publié pendant plusieurs années sous forme de supplément (de Nova Mag, puis de Libération et du Nouvel Observateur) avant de prendre son indépendance, il y a trois ans. L’une des innovations revendiquées de ce guide, c’est de suivre les nouvelles tendances gastronomiques et surtout celles initiées par de jeunes chefs, souvent à peine trentenaires, sans hésiter à “casser les codes” de la gastronomie à l’ancienne.
Le concept fooding se décline également sur une véritable gamme d’événements “éditorialisés”. C’est à dire qu’« on essaie d’écrire un événement avec un angle, de raconter à chaque fois une histoire, comme du journalisme événementiel », explique Alexandre Cammas. Cela donne des rendez-vous plébiscités comme le Fooding d’été, grand rassemblement annuel, à Paris et dans cinq villes de province, où le public se retrouve pour goûter des fantaisies alléchantes, comme des inventions spécial BBQ de chefs. Le public en question, ce sont « des DJ, des vignerons, et des gens cool, le tout dans un lieu exceptionnel », plus quais de Seine que « salons d’hôtels ». Il y a aussi la semaine du Fooding, et des soirées à thème : à l’une se succèdent au fourneau, pendant 72 heures non-stop, de jeunes chefs à la mode pour faire tourner un restaurant éphémère sur le thème du bouillon ; à l’autre, est mis à disposition avec les plats un vestiaire vintage de luxe pour danser chic ; à une autre encore, des people très arty (Philippe Katerine, Bénabar, Joey Starr… jusqu’à Frédéric Mitterrand !) cuisinent, goûtent ou se trémoussent. L’un dans l’autre, ça fait dix ans que ça dure, et le guide 2011 fête dignement cet anniversaire : Alexandre Cammas, rédacteur en chef, revient dans son édito sur un “phénomène” souvent décrié. On retrouve, année par année depuis sa naissance, les balbutiements du concept : les prémices, « en 1992, première nationale, le second du grand restaurant de l’hôtel Crillon décide de plaquer les ors et argents palacieux pour ouvrir son propre bistrot porte d’Orléans et cuisiner pour les copains. Le gars s’appelle Yves Camdeborde » et son resto pionnier, c’est la Régalade. Les débuts : « à cette époque, les boîtes à la mode étaient encore plus nombreuses que les restaus “chébrans”. Et au final, dans les unes comme dans les autres, c’était la même spécialité que l’on servait dans les toilettes… » Les drames, comme lorsque Bernard Loiseau se donne la mort, « tirant le rideau sur un autre âge gastro », les énervés, comme Jean-Pierre Coffe sur France Inter en 2003 (« Est-ce qu’on dit un petit mot sur le Fooding ? Je voudrais juste vous lire un extrait de leur site internet, qui est d’une prétention… »), qui deviendra un ami du Fooding quelques années plus tard… Les détracteurs, depuis le début de l’aventure, sont nombreux. Si le guide de cette année n’a pas peur de les citer, en exergue s’il vous plaît, c’est qu’il sait pouvoir se défendre. Alexandre Cammas a été critique gastronomique dans des journaux importants, et ses accointances au sein des rédactions relaient bien ses énergiques efforts de communication : il a, acquis à sa cause, beaucoup des médias français qui comptent. « Parce que nous faisons bien notre travail de journalistes, de manière positive, en ne parlant que de ce qu’on aime, que nous cherchons inlassablement ce qui est à la fois nouveau et très intéressant, et que nous présentons les choses sous un angle humain, contrairement à la plupart des guides gastronomiques qui essaient de faire entrer les lieux dans leurs grilles, et passent ainsi à côté de super chefs ! » Voilà. Quant à être branché, c’est assumé : « Ce mot a été inventé par le journal Actuel, et ça signifiait ce qui est nouveau, intéressant, pointu. Dans ce cas, c’est un compliment. En revanche, nous ne sommes pas des fashion victims. » L’ombre de Jean-François Bizot, aujourd’hui disparu, qui fut le père, après Actuel, de Nova (la radio et le magazine), et encouragea Cammas dans son entreprise, plane sur le projet comme une ombre tutélaire.
« Dans la mesure où le Fooding permet à des gens de différentes générations de se réunir autour des plaisirs de la table, et où il décomplexe de plus en plus de jeunes gens à ce sujet, c’est très positif, commente Patricia Alexandre, rédactrice en chef du guide et du magazine Gault Millau. La qualité des tables recommandées par le Fooding n’est plus forcément décriée. « Dans leur cas, cela passe plus par l’amusement que par la gourmandise, souligne tout de même Patricia Alexandre. Il faut juste faire attention à ce que la nourriture soit aussi bonne que l’idée, ou que la mise en scène. Mais l’initiative est bonne si cela peut, au bout du compte, élargir le public et amener vers d’autres strates les plaisirs de la table. »
La fête, sans conteste, est l’une des clés de la réussite du Fooding. Une fête « plutôt boboïsante, qui concerne un cercle de happy few urbains », comme le rappelle Patricia Alexandre, ce que ne dément pas la faune furieusement tendance qui se bouscule à chacun de ces événements. Mais le succès, même microcosmique, est au rendez-vous : les deux manifestations Fooding organisés à New York en 2009 et 2010 sont décrites par Time Magazine comme « les événements food les plus cool jamais connus par l’homme ». Les recettes font recettes ! Il y a même des suiveurs, qui déclinent cette façon toute gastronomique de s’amuser : Omnivore, qui propose des dîners conceptuels mensuels au Centquatre, rue d’Aubervilliers, à Paris, ou la fête “Shake Shake Shake” pour manger les plats d’un chef cool, faire la fête avec un DJ cool et boire des cocktails cool pendant 24 heures non-stop. Le Fooding sait sans doute débusquer les tendances. Cette année, par exemple, « la plupart des chefs lauréats du palmarès 2010 sont d’origine étrangère, venus d’Espagne, d’Amérique, d’Italie… Ce n’était pas voulu, on l’a constaté après coup. Ça témoigne, je crois, du fait que des chefs venus vivre en France un certain idéal de gastronomie se décomplexent en ouvrant leurs propres établissements. L’année dernière, la coïncidence avait voulu que l’on distingue des chefs français qui avaient fait leurs classes à l’étranger », constate Alexandre Cammas. Le Fooding est-il, en fin de compte, prescripteur ? Peut-être dans certains milieux. Peut-être permet-il aussi petit à petit, comme le martèle son créateur, de distinguer auprès du grand public, ou à l’étranger, d’autres signatures françaises que Ducasse ou Robuchon, ou bien de mettre sur le même rang une pizza divine et un plat étoilé. Il demeure cependant sans doute l’expression d’une spécialité bien française : « L’Unesco vient d’inscrire le repas gastronomique français sur sa liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité, sourit Patricia Alexandre. C’est notre truc, s’impliquer autant dans une chose que font pourtant tous les peuples de la terre : manger. Au-delà des apports énergétiques de la nourriture, on célèbre une émotion. Il ne faut pas en concevoir d’arrogance. Tout cela reste éphémère, fugace et, surtout, un privilège ! »
Plus d’infos sur www.lefooding.com
Je ne connaissais pas le fooding, maintenant je sais et ça donne envie de s’y adonner.
Merci pour ce billet intéressant que je twitte